BÉZIERS : "Qui réfléchit sur les choses trouve le bonheur"...
Ainsi pour la troisième année le Journal de la Ville de Béziers du 1er août nous convie à une grande messe donnée aux arènes pour l'ouverture de la Feria 2016 : « Que l'on soit croyant ou non, pratiquant ou non, la grande messe des arènes est incontournable. Car historiquement la religion chrétienne est intimement liée à l'univers de la corrida (…) Alors à Béziers nous voulons maintenir cette tradition... ».
Que la municipalité - dans un lieu privé - veuille faire d'un office religieux un spectacle ouvert aux festaires cela regarde (mis à part la laïcité) surtout les pratiquants. Par contre, parler a propos de la corrida de tradition historiquement liée à la religion chrétienne – dans le sens que voudrait lui donner les édiles de Béziers - ne correspond pas tout fait à l'Histoire. En effet, les rapports corrida/église (catholique évidemment) furent des plus tumultueux.
Nous savons tous que les jeux taurins remontent bien avant que l'Espagne deviennent un royaume totalement catholique (1492) puisque de 711 à cette date les arabo-berbères y régnèrent. N'oublions pas les gravures de la «Tauromaquia» (planches 3 à 8) de Goya montrant les Maures combattant par jeux les toros... Jusqu'en 1567, au sein de l'Église, les adversaires et défenseurs de la Corrida s'affrontent. Certains évêques et curés n'en veulent pas dans leur diocèse et paroisse au motif « que ce sont des réjouissances profanes et que souvent il s'y produit des morts », d'autres les tolèrent car les jeux taurins ont lieu lors de fêtes religieuses et amènent du monde.
Influents au sein de l'Église les adversaires obtiennent du pape Pie V une bulle « de Salute Gregis » ordonnant au même titre que le duel que les chrétiens à tous niveaux ne combattent les taureaux sous peine d'excommunication (un chrétien ne peut mourir que pour Dieu ou son Roi).Le pape suivant, Grégoire XIII transige par une bulle « Exponi Nobis » - 25 août 1575 - en levant les menaces d'excommunication dés l'instant où les jeux taurins se déroulent hors des jours de fêtes religieuses. Il maintient aux deux clergés l'interdiction d'y assister.Son successeur, Sixte V par un « bref » d'avril 1536 rappelle à l'Université de Salamanque que les ecclésiastiques ne doivent pas assister aux fêtes taurines. A la demande de Philippe II, le pape Clément VIII par sa bulle « Suscepti Muneris » du 13 janvier 1596, lève l'interdiction concernant le clergé séculier, le maintien pour le régulier et les jours de fêtes religieuses.
Le temps passant, et malgré la Sainte Inquisition, les espagnols finirent pas imposer en tous lieux et dates la Corrida et à ce jour aucune arène d'Espagne n'a la messe comme tradition sur son ruedo...
Si indirectement l'histoire de la tauromachie est liée durant une longue période à celle de l'Église et il ne pouvait en être autrement comme dans de nombreux domaines de l'histoire de l'Espagne (Inquisition, Opus Dei…), elle est alors aussi liée à l'histoire de l'Espagne laïque et républicaine. En effet, le 17 juin 1931, pour fêter l'avènement de la République le 14 avril 1931, Pedro Rico, maire socialiste de Madrid mit sur pied une corrida présidée par le futur président laïque Alcala Zamora. Durant la Guerre d'Espagne, communistes, anarchistes, socialistes organisèrent des corridas de bienfaisance. Et même après le décret de circonstance du 10 juillet 1937 quelques corridas eurent encore lieu en zone républicaine. Si des aficionados se trouvaient dans les deux camps, n'oublions pas les 3 700 hommes de la 96eme brigade mixte de l’Armée populaire – dite des toreros rouges - constituée en juin 37 à partir du bataillon du matador Francisco Gallon et des milices taurines, brigade commandée par le matador Litri II, unité républicaine qui combattra jusqu'à la fin de la République…
J'écris cet article parce que je considère comme de nombreux aficionados que la tauromachie n'est ni de droite ni de gauche ; pas plus qu'elle n'appartient uniquement à celui qui croit au ciel ou à celui qui n'y croit pas, car culturelle elle appartient à tous. Dans cette période où notre passion est attaquée, c'est donner un argument aux anti-corrida dont beaucoup clament, en maltraitant l'Histoire de la tauromachie : « corrida = catholicisme = franquisme ». Qu'il y ait un office religieux dans la chapelle des arènes rien d'anormal ; mais - au nom d'une tradition n'ayant jamais existé - au cœur de nos arènes, c'est travestir son histoire… c'est dommage et bis repetita placent : "au Toro ce qui est au Toro et à Dieu ce qui est à Dieu…"
Qui réfléchit sur les choses trouve le bonheur. Proverbe de Salomon ; Le livre des proverbes - IVe s. av. J.-C.
Cartel d'une corrida au profit des miliciens du PCE janvier 1937