INTÉRÊT PATRIMONIAL DE LA TAUROMACHIE
Ci dessous un extrait de la fiche d'inventaire classant la Tauromachie au patrimoine culturel immatériel, établie par le Ministère de la Culture.
INTÉRÊT PATRIMONIAL DE LA TAUROMACHIE
a) Le lien entre l’éthique et l’esthétique
La corrida se distingue des autres tauromachies par deux traits particuliers :
- l’animal est tué rituellement, ce qui donne à la corrida sa dimension tragique, et il est tué en public, ce qui garantit la loyauté de sa mise à mort.
- une des finalités essentielles de la corrida est de créer une œuvre d’art éphémère en utilisant la charge naturelle du taureau de combat.
Ces deux dimensions particulières, éthique et esthétique, expliquent peut-être que la corrida soit la seule tauromachie à être sortie des limites de son terroir d’origine (l’Andalousie et la Navarre) pour être adoptée par une partie des peuples de la Méditerranée et de l’Amérique latine, et surtout qu’elle ait conquis la plupart des modes d’expression artistique de la «haute culture» (littérature, poésie, peinture, sculpture, musique, cinéma, etc).
L’esprit et la valeur de la corrida reposent sur deux piliers comportant une dimension éthique. Le premier, c’est le combat du taureau, qui ne doit pas mourir sans avoir pu exprimer, au maximum, ses facultés offensives ou défensives. Le second pilier, symétrique, c’est l’engagement du torero, qui ne peut affronter son adversaire sans se mettre lui-même en danger, en offrant son corps, puis en détournant la charge par un leurre en tissu. La corrida n’aurait aucun sens et aucun intérêt sans cette combativité spontanée du taureau et sans ce risque permanent de blessure grave ou de mort du torero. Dans la corrida ces éléments éthiques sont très étroitement liés à des éléments esthétiques d’une grande richesse. Le rituel tauromachique est soutenu par l’éclat de toutes les formes d’expression artistique, populaire ou savante : l’architecture des arènes, l’art très vivant des costumes de lumière, savamment brodés et chamarrés par un artisanat traditionnel, ou la composition musicale des paso-dobles taurins, chargés de souligner les moments clés de la fête. On comprend que ce spectacle total, comparable à certains égards à l’opéra, ait pu inspirer tant d’artistes.
Mais s’il faut préserver la tauromachie comme une forme d’expression unique qui ne doit pas se perdre, c’est surtout qu’elle est en elle-même une forme d’art, qui renoue peut-être avec l’origine même de l’art. On peut se référer sur ce point aux analyses de Michel Leiris et de Francis Wolff : il s’agit en effet de donner forme humaine à une matière brute, en l’occurrence la charge d’un animal qui combat. L’action du leurre dépouille l’assaut de l’animal de sa fonction mortifère et de sa violence naturelle et, grâce à l’emprise que ce leurre permet sur la charge du taureau, le torero conduit celle-ci, la courbe, l’adoucit, la polit, la ralentit.
b) Une déclinaison originale des couples nature / culture et sauvage / domestique
Le taureau de combat est le produit d’un mode de domestication tout à fait original, précisé par la réflexion de Jean-Pierre Digard : les actions domesticatoires, aussi discrètes et distanciées que possible, se sont exercées sur lui comme à contre-courant, dans le sens d’un 10 ensauvagement contrôlé et orienté, de manière à conserver, paradoxalement en apparence, chez cet animal le phénotype (aspect extérieur) et l’éthogramme (ensemble des comportements innés) de l’espèce sauvage d’origine –l’aurochs, bœuf primitif ou bos primigenius – désormais disparue. Il fait l’objet depuis plusieurs siècles, en Espagne, en France et au Portugal, d’une sélection stricte et de croisements raisonnés qui ont conduit à la création de sous-races (encastes) et de lignées bien identifiées et suivies dans la durée. La sélection des reproducteurs et des femelles vise à développer son instinct offensif, ce qu’il est convenu d’appeler sa bravoure, terme qui est à rapprocher du mot espagnol bravo, c’est-à-dire sauvage.
Dans son organisation et son déroulement la corrida représente le conflit, la juxtaposition mais aussi la transition entre l’état de nature et l’état de culture. L’animal qui va combattre est extrait d’une zone non cultivée. Il incarne en lui-même l’émergence de la nature dans une enceinte de ville ou de village, face à un homme identifié au contexte urbain dans lequel il va exprimer son art et sa technique.
c) Une dynamique de proximité avec l’anima
La pratique tauromachique requiert, on l’a vu, des animaux particuliers, dont la production suppose des connaissances écologiques, éthologiques et zootechniques approfondies. Elle nécessite aussi, de la part de l’homme qui l’affronte, des qualités spécifiques : certes, des qualités morales - relevées plus haut -, une sensibilité esthétique affirmée, des aptitudes intellectuelles et psychomotrices, mais aussi une empathie avec l’animal afin de discerner ses aptitudes et son comportement changeant au fur et à mesure du déroulement de la course, faute de quoi le torero, en construisant son jeu, ne saurait ni dominer la bête, ni se mettre en harmonie avec elle. D’où le sentiment souvent exprimé par ces professionnels, à travers les propos qu’ils tiennent, qu’ils « se mettent à l’intérieur du taureau », qu’ils épousent en quelque sorte sa nature en même temps que leur science et leur art leur permettent de révéler au grand jour, et à l’intention du public, toutes les riches possibilités de celle-ci. Les aficionados quant à eux sont incités, pour saisir tout l’intérêt et la beauté du spectacle, à faire en esprit ce même cheminement de compréhension de l’animal.
d) Un patrimoine immatériel qui contribue de façon exceptionnelle au développement durable
Comme on l’a vu, le taureau de combat est un animal élevé en semi-liberté dans des pâturages extensifs au contact d’une flore et d’une faune sauvages. Son existence ainsi que la préservation de ces espaces sont directement subordonnées au maintien de la corrida et des autres fêtes taurines. En France l’élevage de taureaux de jeux - nous appellerons ainsi les deux races que l’on élève dans notre pays pour les jeux taurins pratiqués dans les arènes (la course camarguaise et la corrida) ou pour des animations de rues - s’est développé pour dépasser
aujourd’hui le chiffre de 25000 têtes réparties dans près de 200 élevages. Concentré d’abord dans le delta du Rhône (Camargue), cet élevage a franchi les marges du delta pour s’étendre dans les arrières pays (Alpilles, Cévennes) et le littoral languedocien. Il se développe également dans le Sud Ouest, où l’on compte 9 élevages de taureaux de combat auxquels il faut ajouter quelques 1500 vaches de même origine, destinées à la course landaise. Globalement, 2/3 de ces taureaux de jeux sont des bovins de souche camarguaise, 1/3 de la souche espagnole dite taureaux de combat.
Les terres de parcours ne possèdent aucun abri artificiel et les animaux sont ainsi soumis aux rigueurs du climat (froid, chaleur, nuisances liées aux insectes). Ils gardent une rusticité indispensable à ce type d’élevage. La plus grande partie de ces animaux évolue dans des écosystèmes faiblement anthropisés, étant un réservoir de biodiversité.
Enfin, cet élevage, comme l’observe Alain Dervieux, est à même de constituer une activité de substitution viable à des populations rurales touchées par les difficultés inhérentes à la mondialisation de l’agriculture et à la désertification des campagnes, ce qui renvoie à l’importance du maintien des ruraux pour l’entretiens des paysages et des écosystèmes.
e) Une contribution à l’enrichissement de la langue
Il convient d’observer, enfin, que le parler des aficionados a enrichi le français par une savoureuse et originale contamination à partir de la langue taurine espagnole. Des mots nouveaux sont apparus tels que torère (surtout en Languedoc et en Provence), templer, pincher, se croiser… Certains de ces termes ont par ailleurs été adoptés par le langage courant (aficionado, banderille, bronca, mano a mano, feria…) Cette langue ne permet pas seulement de rendre compte de la réalité technique du jeu. Elle fonctionne comme un signe de reconnaissance entre amateurs. Elle a également participé à la formation du langage de la bouvine et de la course landaise dont certains termes sont communs ou proches, mêlant le français, l’occitan et l’espagnol.
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